Que veulent les personnes trans ?
- River Champeimont
- Sep 27
- 6 min read
Ici je vous parle de l’importance de la transition légale pour les personnes trans !
Les premières nations l’ont fait avant nous
Les navajos avaient un rituel de transition pour les femmes trans. Lors d’une cérémonie spécifique, la femme trans* se mettait à danser dans un cercle devant les autres membres de la tribu. Elle quittait ensuite le cercle, enfilait des habits féminins, puis revenait dans le cercle avec ses nouveaux vêtements. Elle annonçait alors son nouveau nom féminin et dansait à nouveau. À partir de là elle était considérée comme une femme, et ce malgré l’absence d’hormones féminisantes ou de chirurgie génitale [1, 2].

Du chemin à faire pour l’Occident
Les occidentaux mettront des siècles avant d’atteindre ce niveau d’inclusion. Et encore aujourd’hui, une grande partie des pays occidentaux requièrent des transformations médicales voire de la chirurgie pour autoriser un changement de genre légal. Même dans l’Union Européenne, seule une minorité de pays autorisent un changement de genre légal sans procédures médicales [3]. Et même dans ce cas, les procédures de changement de nom et de genre peuvent rester très complexes, comme celle que je suis en train de faire en France (un dossier à monter avec un avocat, avec des dizaines de preuves à collecter).
Il faut bien comprendre que le choix pour une personne trans de faire de la chirurgie génitale dépend complètement de ses besoins personnels. Dans la communauté trans, les personnes ne sont pas considérées différemment selon si elles ont fait ou non cette chirurgie (d’ailleurs c’est une information totalement privée, il est malvenu de poser la question si vous n’êtes pas super proche de la personne !).
Le critère légal basé sur la chirurgie génitale est aussi absurde que si je proposais que le critère pour avoir le droit d’être considérée comme une femme était d’avoir une répartition de cheveux féminine, qui correspond à la chirurgie que j’ai faite personnellement. Le critère du changement de genre légal conditionné à la chirurgie est donc fondamentalement transphobe et montre une incompréhension totale de ce que c’est d’être trans.
La malédiction du mégenrage par écrit
Dans beaucoup de commerces et administrations (que ce soit en France ou au Canada), il est rare de pouvoir utiliser un prénom d’usage (« preferred name »), et quand c’est possible, c’est souvent non fiable et on se retrouve à voir son nom légal utilisé en pratique. Par exemple, dans mon expérience personnelle, cela était impossible pour 3 banques différentes, et cela était en théorie possible mais non fiable pour mon dentiste et ma pharmacie (au Canada).
Côté France, j’étais systématiquement mégenrée dans toute communication avec ma banque, en effet, l’usage formel en France est très souvent d’écrire « Monsieur » ou « Madame » là où au Canada on écrit simplement le prénom et nom de la personne. Le seul moyen d’empêcher ça était de prouver un changement de genre légal (et encore on m’a traitée avec manque de respect lors de ce changement).
Le changement légal d’identité, genre et nom, est donc capital pour éviter de ressentir de la dysphorie de genre à chaque interaction. Les pays qui imposent des procédures longues et conditionnées à des changements médicaux imposent donc en pratique un mal-être permanent aux personnes trans dans leurs interactions avec de nombreux commerces et administrations.

L’exemple à suivre
L’Ontario (province du Canada), où je vis, est un des rares endroits dans le monde qui a des procédures administratives respectueuses des personnes trans. La procédure de changement de nom prend environ 5 mois pour traiter le dossier et ne nécessite pas de prouver une utilisation du nom antérieure (on peut donc faire le dossier directement dès qu’on a choisi son nouveau nom), contrairement à la procédure française.
Le changement de genre entre M et F se fait avec un simple certificat médical (mais sans nécessité de suivre un traitement hormonal ni chirurgie). Le changement de genre vers X (non-binaire) se fait sans justification. Dans l’idéal cela devrait être pareil pour M et F, mais on est déjà sur ce qui se fait de mieux dans le monde pour les droits trans. Tout compris, cela ne m’a pris que quelques semaines pour avoir en poche ma pièce d’identité avec F.

Et pour l’aspect médical ?
Les gens se demandent parfois si les personnes trans ne devraient pas avoir aussi leur sexe biologique enregistré, en particulier pour les besoins médicaux. Par exemple, dans l’Ontario, depuis mon changement de sexe légal, je reçois les lettres m’encourageant à faire un dépistage du cancer du col de l’utérus (ce qui n’a pas de sens dans mon cas). Ne devrait-on pas garder leur sexe de naissance sur les enregistrements médicaux pour que le corps médical puisse savoir le sexe de la personne ?
Comme beaucoup de personnes trans, je suis opposée à une telle pratique. Nous savons si nous avons besoin de révéler notre sexe de naissance au corps médical selon les circonstances. En fait, il y a des cas où à l’inverse cela fait sens d’assimiler les personnes trans à leur genre, par exemple les femmes trans peuvent développer un cancer du sein si elles prennent des hormones, donc dans ce cas c’est plus pertinent de les traiter comme des femmes cis. De manière générale, quand on ne parle pas des parties génitales, c’est bien plus souvent les hormones qui influencent la biologie humaine que les chromosomes, et donc notre genre est plus pertinent.
Dans mon cas, la clinique que je fréquente est explicitement adaptée pour les personnes trans, et j’étais confortable de leur révéler le fait que je sois une femme trans. Mais c’est moi qui choisis de révéler cette information, ce n’est pas le gouvernement qui décide de le faire pour moi.
Une garantie pour le futur
Enfin, lors de du changement de genre légal, il est bien mieux que le genre assignée à la naissance soit purement et simplement remplacé dans les documents (comme les actes de naissance), et non ajouté en marge comme en France, ou encore ajouté comme un champ séparé (par ex. deux champs sexe et genre).
En tant que personne trans, nous ne pouvons pas faire confiance aux gouvernements futurs. Nos droits ont été maintes fois révoqués par des gouvernements hostiles (et ça se passe en ce moment aux États-Unis et au Royaume-Uni). Un gouvernement successif pourrait très bien décider que maintenant c’est le genre de naissance qui compte et qu’on ignore le genre modifié. Garder notre genre de naissance en mémoire créé donc la possibilité de révoquer nos droits dans le futur, contrairement aux personnes cis. C’est un peu comme la différence entre devenir citoyenne d’un pays (non révocable) ou résidente (révocable sur changement de politique).

Conclusion
En tant que personnes trans binaires, quand nous disons que nous voulons des droits égaux, nous entendons par là que vous voulons être reconnues légalement au même titre que les personnes cis du même genre que nous, donc comme des femmes pour les femmes trans et comme des hommes pour les hommes trans. Nous ne voulons pas être assimilés à notre « sexe biologique », que ce soit légalement, médicalement, socialement ou pour les lieux genrés que nous fréquentons. Au contraire, nous voulons être assimilées à notre genre réel.
À l’inverse, les personnes non-binaires peuvent vouloir être reconnues comme appartenant à un genre séparé, et leur situation de reconnaissance légale est encore pire dans le monde que celles des personnes trans binaires. Très peu de pays reconnaissent un genre non-binaire, par exemple seulement 3 dans toute l’Europe ! [4] (l’Allemagne, l’Islande et Malte).

Références et notes
* Notons que j’ai utilisé le terme « femme trans » au sens où il s’agit d’une personne née avec des organes génitaux masculins et reconnue comme femme dans sa vie sociale, ce qui correspond à la définition du terme « femme trans », mais chez les premières nations, on utilise plutôt le terme « two-spirit » (personnes aux deux esprits, i.e. deux genres) qui regroupe aussi les personnes non-binaires et parfois aussi les personnes non hétérosexuelles.
[1] Walter L. Williams, 1992, The Spirit and the Flesh – Sexual Diversity in American Indian Culture, p.24, 98
[2] William Roscoe, 1998, Changing Ones - Third and Fourth Genders in Native North America, p.31-35




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