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Suis-je toujours mégenrée après un an ?

  • Writer: River Champeimont
    River Champeimont
  • 15 hours ago
  • 7 min read
Portrait de River souriante dans un style anime. Elle a les cheveux violets au carré, un bandeau blanc à pois, et porte un polo gris à col noir. Elle se tient devant un panneau électrique bleu marqué "AC SUPPLY", avec des boutons colorés. L’ambiance est industrielle et calme.

Pendant un an, j’ai noté chaque fois qu’une personne se référait à moi avec un genre correct ou incorrect. Je vous révèle les résultats.


L’idée

Tout a commencé quand j’ai fait mon coming out en tant que femme trans en mai 2024. J’étais déjà « out » en tant que personne trans à ce moment, mais je m’identifiais comme non-binaire jusque-là. J’utilisais alors les pronoms they/them en anglais (la majorité de mes interactions sont anglophones) et iel en français. Il est plutôt difficile de faire utiliser correctement les pronoms they/them à l’oral par d’autres gens, surtout quand ils ne sont pas très jeunes. Mais c’est encore plus difficile en France où quasiment personne ne connaît le pronom iel. Je compatis avec les personnes non-binaires qui ont cette difficulté.


Mais à partir de mai 2024, tout ça allait changer, j’ai annoncé à tout le monde que je m’identifiais comme une femme et que j’utiliserai désormais les pronoms féminins classiques. Mais je me demandais si ça allait marcher, les gens allaient-ils utiliser correctement mes nouveaux pronoms ou me mégenrer* régulièrement ?


Comme j’ai tendance à être pessimiste et à me concentrer sur les cas négatifs (= quand je suis mégenrée), j’ai pensé qu’une manière de résoudre ça serait de faire des statistiques sur mon mégenrage pour pouvoir observer objectivement ma progression.


* mégenrer : Parler d’une personne en utilisant un genre incorrect, c’est-à-dire en utilisant des pronoms, accords ou termes ne correspondant pas au genre de la personne.


Pourquoi je fais ça?

Mais pourquoi je veux être correctement genrée au fait ? Pourquoi est-ce important ?


La raison est qu’être mégenrée provoque chez moi de la dysphorie de genre*. En effet, quand je suis mégenrée, je ressens comme une sorte de dégoût envers moi-même, comme si je pensais « beurk la personne me voit comme un homme ». Notez bien que ce n’est pas que je ressens un dégoût des hommes en général, mais spécifiquement envers l’idée que moi je pourrais être considérée comme un homme. Si vous n’êtes pas vous-même trans, cela vous paraît sûrement étrange et difficile à imaginer, mais je vous assure qu’il s’agit d’un sentiment bien réel que la plupart des femmes et hommes trans peuvent ressentir (et certaines personnes non-binaires).


* dysphorie de genre : Le malaise que peuvent ressentir les personnes trans par rapport aux éléments qui ne correspondent pas à leur identité de genre.


La méthode

J’ai alors fait la chose suivante pendant 1 an, de mai 2024 à mai 2025 : à chaque fois qu’une personne me genrait correctement ou me mégenrait, je le notais. Comme je ne pouvais pas ouvrir un fichier Excel à chaque fois, j’avais créé un channel Discord spécial où j’écrivais simplement les lettres « CG », « AG », ou « MG » sur mon téléphone, correspondant aux cas suivants :


  • CG (Correct Gendering) : Une personne m’a genrée correctement tout au long d’une conversation, par exemple « Tu a de la chance d’apprendre avec River, elle est experte en programmation Ansible ». Mais cela peut-être juste un « Merci madame » par une inconnue.

  • AG (Ambiguous Gendering) : Une personne m’a mégenrée mais s’est ensuite corrigée (par elle-même ou parce que je lui ai dit) et m’a ensuite genrée correctement.

  • MG (Misgendering) : Une personne m’a mégenrée en utilisant exclusivement des pronoms ou accords masculins pour parler de moi dans une conversation.

  • Transphobie : J’ai aussi noté les quelques rares interactions transphobes que j’ai eues, par exemple s’il est clair qu’une personne a fait exprès de me mégenrer, si j’ai été insultée ou victime d’une discrimination flagrante.


Notons que je ne compte qu’une occurrence si une même personne me genre plusieurs fois dans la même journée.


J’exclus aussi les personnes de ma famille proche, pour éviter de biaiser les statistiques, car mes proches me voient comme étant de mon genre correct, mais ce qui m’intéresse ici c’est comment les gens avec qui je ne suis pas proche me perçoivent. À l’inverse, si je comptais ma femme par exemple, je pourrais écrire un CG « gratuit » tous les jours, mais ce ne serait pas très intéressant pour mon analyse.


Les résultats

Graphique en courbes représentant l’évolution du genre utilisé pour parler de River, sur une période d’un an. On y voit quatre courbes :

Vert pour le genre correctement utilisé (courbe principale),

Orange pour les cas ambigus,

Rouge pour les mégenrages,

Noir pour les cas de transphobie.
Les données sont lissées par sommes mobiles sur 10 jours.

Le genrage correct a un niveau constant élevé tandis que le genrage ambigu et le mégenrage diminuent au cours du temps globalement.
Note : La courbe « correct gendering » (verte) est cette qui est systématiquement la plus haute.

Cette courbe montre l’évolution de la fréquence des 3 catégories avec une somme glissante sur 10 jours.


Quand on transitionne et qu’on observe comment les gens nous genrent, on arrive vite à la conclusion que cela dépend en très large majorité de notre apparence visuelle (et un peu de notre voix).


Certaines personnes trans changent du tout au tout leur apparence du jour au lendemain, mais dans mon cas j’ai fait les changements progressivement car c’était trop pour moi de changer tout d’un coup. Ainsi, dès que je faisais un changement (porter des jupes au lieu de pantalons par exemple), je mettais un certain temps à m’habituer pour ensuite avoir le courage de faire un autre changement.


Voici le même graphique mais avec les dates auxquelles j’ai fait des changements de mon apparence.


Graphique retraçant l’évolution du genre utilisé pour parler de River, avec quatre courbes : vert pour le genre correct, rouge pour le mégenrage, orange pour les cas ambigus, noir pour la transphobie. Des annotations marquent des étapes de transition (coming out, maquillage, vêtements, chirurgie, électrolyse).

Analyse

L’anomalie du début avec les courbes « correct » et « mégenrage » toutes les deux très élevées correspond au coming out et à toutes les interactions des personnes y réagissant, ce qui a fait beaucoup d’interactions d’un coup.


Pour analyser ces données, il est plus intéressant de regarder les courbes « ambigu » et « mégenrage » (les deux plus basses) que la courbe de « genrage correct » (la plus élevée). En effet, beaucoup de personnes qui me connaissent me genrent correctement tous les jours, faisant apparaître un « flux » constant de genrage correct. Les gens qui se trompent sont souvent des inconnu(e)s qui se basent uniquement sur mon apparence pour décider quels pronoms utiliser.


Le port du bandeau sur mon front à partir de juillet 2024 a été un changement majeur concernant ma dysphorie de genre. Pour moi cela fait toute la différence entre avoir l’impression de voir un homme ou une femme dans le miroir. J’ai par la suite entrepris une chirurgie de transplantation capillaire pour avoir des cheveux sur le haut de mon front et ainsi ne plus détester mon apparence quand je me vois sans mon bandeau.


Il faut voir aussi que mon visage a progressivement changé sous l’effet des hormones féminisantes. Voici quelques photos montrant mon évolution lors de la même période que mon analyse :

Trois photos alignées montrent l'évolution de River au fil du temps.

À gauche, elle porte une chemise rose sous un gilet clair, les cheveux châtains clairs, bouclés et volumineux.

Au centre, elle est dehors sous les arbres, souriante, avec un bandeau blanc et une chemise blanche ornée de motifs bleus.

À droite, en intérieur, elle affiche un large sourire, avec les cheveux désormais teints en violet-rouge, toujours portés avec un bandeau. Elle porte une robe à col blanc noir et blanc et un collier « She/Her ».
Mai 2024 / Juillet 2024 / Mai 2025

Mais pour être honnête, le phénomène le plus flagrant est que le fait de porter une jupe change tout. Dès que l’hiver a commencé et que les températures ont chuté à 0°C, j’ai arrêté de porter ma jupe courte et j’ai mis un pantalon, et d’un coup j’ai été beaucoup plus mégenrée (le pic rouge en octobre sur la courbe). J’ai ensuite trouvé une jupe longue et chaude que je pouvais porter en hiver (en mettant un pantalon en dessous quand j’étais dehors par températures négatives) et tout de suite le mégenrage est retombé proche de zéro. Comme quoi, l’habitude que seules les femmes portent des jupes a la vie dure mais je peux l’utiliser à mon avantage !


Alors pourquoi suis-je toujours mégenrée ?


Je dirais que les rares cas qui restent à la fin de ma transition correspondent à :

  • La « legacy » : Des personnes qui m’ont connue avant ma transition et qui ne me voient pas souvent (et donc gardent une image de moi incorrecte), voire qui ne sont pas au courant de ma transition. C’est un problème qui va probablement disparaître avec le temps.

  • La transphobie : Certaines personnes font exprès de me mégenrer comme un moyen d’affirmer leurs opinions politiques. C’est un problème particulièrement répandu aux États-Unis mais heureusement très rare au Canada. De manière flagrante, alors qu’en gros 95% de mes interactions sont avec des canadiens, la moitié de ces occurrences transphobes sont avec des américains ou des français !


Le top 5

Je vis dans un environnement (Toronto, Canada) où la transphobie est très rare. Le problème du mégenrage est donc pour moi très largement causé par des erreurs involontaires, et non par de la malveillance délibérée. Toute la technique consiste donc à donner « l’intuition correcte » aux personnes qui me regardent.


Malheureusement, tout ce qui est pins/badge/collier avec mes pronoms ne semble avoir qu’un effet très faible et être ignoré en pratique par tout le monde sauf les gens de la communauté LGBTQIA+. Dans mon expérience, porter une jupe marche bien mieux pour faire comprendre qu’on est une femme qu’un « she/her » écrit en gros sur une étiquette.


De manière générale, tout ce qui change mon apparence a un effet très fort et je dirais que le « top 5 » de ce qui a amélioré mon genrage est :

  1. Porter des jupes

  2. Mettre du maquillage très clairement visible (ex. fard à paupière coloré)

  3. Mon bandeau (en attente de l’effet de la chirurgie)

  4. L’épilation laser/l’électrolyse pour enlever la zone grise de la barbe sur mon visage

  5. Avoir les cheveux colorés en violet (et oui dans notre culture le violet est très fortement considéré comme une couleur « féminine », et se colorer les cheveux en général est aussi plus répandu chez les femmes)


Notons qu’il y a des choses que les femmes trans font souvent pour « pousser l’intuition des gens dans le bon sens » mais que je ne fais pas :

  • Avoir les cheveux très longs (j’ai en fait les cheveux très courts par rapport à la plupart des femmes trans, mais j’aime ce style-là)

  • Avoir une frange (pour cacher la frontière des cheveux sur le front dans la forme est différente entre hommes et femmes)

  • Féminiser sa voix (en fait je l’ai fait en partie mais pas au point où ma voix est considérée comme féminine, juste moins masculine)


L’avenir

J’ai fait la plupart de ces changements d’abord pour contrer ma dysphorie (quand je me vois dans le miroir ou en photo), et cela a eu pour effet « bonus » de réduire les erreurs de genrage. Le fait d’être mégenrée cause aussi de la dysphorie chez moi, donc les changements qui ne font qu’influencer les autres représentent aussi un bénéfice indirect pour contrer ma dysphorie.


À l’heure où j’écris ces lignes (mai 2025), les nouveaux cheveux de ma chirurgie ont enfin suffisamment poussé pour que je ne sois plus dysphorique quand je me vois sans mon bandeau. C’est donc une nouvelle étape pour moi que je suis en train d’atteindre.


Le « passing » au sens fort n’est pas un objectif pour moi. Par passing au sens fort, j’entends le fait que les personnes me voient comme une femme sans voir que je suis une femme trans. C’est particulièrement important pour les femmes trans qui vivent dans des environnements hostiles, ce qui n’est pas mon cas.


Dans mon cas, je veux qu’on me voie comme une femme, mais j’apprécie aussi qu’on sache que je suis trans. J’en suis fière et j’espère ainsi montrer que les personnes trans sont des gens avec qui on peut tout à fait vivre normalement et les avoir comme amies ou comme collègues.



Une pancarte de manifestation avec écrit SOLIDARITY - ENBIES - TRANS WOMEN - TRANS MEN

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