top of page
  • Writer's pictureRiver Champeimont

Le Zeitgeist du futur

Nos valeurs morales s’améliorent avec le temps : c’est le Zeitgeist qui change ! Mais cela implique que nos descendants jugeront certaines de nos valeurs morales comme rétrogrades… Ici je vais tenter de me projeter dans l’avenir et de deviner où nos valeurs morales actuelles se trompent et seront remises en cause à l’avenir.



Image sous licence CC BY-SA 4.0 adaptée d’une photo de Samuel Wantman

Le Zeitgeist ? Qu’est-ce que c’est que çà ?

Le Zeitgeist est un mot allemand qui signifie « l’esprit du temps », c'est-à-dire la façon générale de penser d’une population à une époque donnée. Ici je parle spécifiquement du Zeitgeist moral, c’est-à-dire les valeurs morales dominantes d’une époque.


Si vous considérez la façon de penser dans l’Antiquité, vous verrez que la quasi-totalité de la population considérait l’esclavage comme totalement normal. À l’inverse, même les pires dictateurs de l’époque actuelle ne font pas l’apologie de l’esclavage. Cela montre à quel point le Zeitgeist a fait du chemin depuis l’Antiquité.


De même, on est souvent surpris de découvrir des choses scandaleuses sur des personnes qu’on considère comme des modèles historiques d’un point de vue moral. Par exemple cela nous choque d’apprendre que George Washington possédait des esclaves [1] ou de lire un discours d’Abraham Lincoln dans lequel il déclare qu’il est ridicule d’imaginer qu’un jour les Noirs puissent avoir les mêmes droits que les Blancs [2]. En fait, il est presque impossible de trouver quelqu’un ayant vécu il y plus de deux-cents ans qu’on ne considérerait pas comme raciste ou misogyne selon nos critères modernes.


Mais même au sein d’une société, tous les individus ne pensent pas de la même manière. Certains peuvent être en « avance » par rapport à leur Zeitgeist (ex. les féministes du début du 20ème siècle), tandis que d’autres sont à la traîne et s’accrochent aux valeurs d’un Zeitgeist passé (les personnes anti-LGBTQ+ d’aujourd’hui).


On pourrait faire un parallèle avec l’adoption des innovations par le public, comme pour la voiture ou l’ordinateur. Au début, quelques pionniers adoptent l’innovation, puis un large nombre de personnes pragmatiques, suivi par les plus conservateurs et finalement les plus récalcitrants [3]. On peut voir de la même manière la diffusion des « innovations morales » telles que l’abolition de l’esclavage, l’égalité des genres, la fin des lois racistes, les droits LGBTQ+, etc.

Un diagramme illustrant l’adoption progressive des innovations par chaque tranche de population.
Un diagramme illustrant l’adoption progressive des innovations par chaque tranche de population.

Il n’y évidemment rien de magique ou de mystique à propos du Zeitgeist. Il s’agit simplement du résultat du progrès scientifique et philosophique, des échanges d’idées, de la diffusion de l’information etc.


Retour vers le Zeitgeist

Dans chaque époque, on trouve des innovateurs en avance sur leur Zeitgeist, et dont les idées semblaient folles dans leur temps quand bien même elles sont aujourd’hui totalement acceptées.


Un exemple particulièrement frappant est celui du philosophe du 18ème siècle Jeremy Bentham. Il promouvait l’abolition de l’esclavage, la décriminalisation de l’homosexualité et même les droits des animaux. Tous ces exemples sont plus frappants les uns que les autres, voyons pourquoi.


L’esclavage était fréquent à son époque, mais certaines critiques à son encontre avaient déjà vu le jour. Bentham était alors un de ses détracteurs, mais il n’était pas le seul.


Son point de vue concernant l’homosexualité est lui bien différent. Personne ne prônait les droits homosexuels à l’époque. Deux siècles plus tard - et il n’y pas si longtemps pour nous - le célèbre scientifique Alan Turing a été condamné à la castration chimique pour homosexualité [4], alors qu’il aurait dû être célébré comme un héros pour son rôle clé [5] dans la défaite des Nazis ! Concernant les droits LGBTQ+, nous sommes en bonne voie avec une large portion de la population convaincue, mais toujours avec un rejet de la part d’une frange significative.


Et enfin vient la position de Bentham sur les droits des animaux. Il considérait qu’on devrait donner le même poids à la souffrance animale qu’à une souffrance humaine équivalente [6]. Même si cette idée fait son bonhomme de chemin aujourd’hui, elle reste minoritaire. Bentham n’était pas seulement en avance sur son temps, il a toujours une longueur d’avance sur le nôtre !


Bentham voulait que son corps soit disséqué et préservé comme « auto-icône » qui peut être vue par les visiteurs de l’University College à Londres. Photo par Philip Stevens sous licence CC BY-SA 4.0.

Le Zeitgeist progresse-t-il dans le bon sens ?

Le Zeitgeist actuel est-il mieux que celui qui le précède ? Je pense que oui, tout comme je pense qu’il y a une tendance générale du Zeitgeist à aller vers le mieux.


Une première raison de penser cela, c’est que le Zeitgeist semble bouger dans une seule direction, et pas de tourner en rond, faire des zig-zags ou des demi-tours aléatoires. Plus nous remontons dans le temps, plus nous sommes horrifiés par la morale du passé avec l’esclavage, la torture, les femmes traités comme des possessions et, si l’on s’aventure assez loin, des sacrifices humains.


Une autre manière de répondre à cette question serait d’utiliser un critère de jugement moral extérieur, en prenant celui que Bentham propose en exemple : regarder ce qui apporte du bonheur, ou au contraire de la souffrance. Si quelque chose crée du bonheur sans générer de souffrance, comme l’homosexualité, alors il est évident que cela devrait être moralement accepté. Concernant l’esclavage et la cruauté animale, ils apportent une grande souffrance et donc doivent être rejetés. Cette philosophie s’appelle l’utilitarisme (dont Bentham est même l’inventeur). Quand bien même j’ai critiqué personnellement cette philosophie à cause de ses limites, je dois bien lui reconnaître qu’elle a permis à Bentham de remettre en cause les valeurs morales de son époque et découvrir des idées novatrices plusieurs siècles en avance.


Une autre méthode de jugement externe que nous pourrions utiliser est celle de John Rawls appelée « le voile d’ignorance ». Imaginons que vous n’êtes pas encore né et ne savez pas qui vous serez dans la société : blanc ou noir, homme ou femme, riche ou pauvre, etc. Avant de naître, on vous force à choisir la société dans laquelle vous allez vivre, toujours sans savoir votre statut et votre rôle dans ce monde. Dans ce cas, vous ne tenteriez certainement pas votre chance en autorisant l’esclavage dans cette potentielle société car rien ne garantirait que vous ne naîtriez pas dans la catégorie de population esclavagée. Vous pouvez en lire plus sur le voile d’ignorance dans un autre de mes articles.


Je reconnais que le ou les critères d’évaluation parfaits pour juger le Zeitgeist sont encore à découvrir. En effet, les philosophies de Bentham et Rawls ont malgré tout leurs limites. Nous sommes loin d’avoir tout découvert sur ce sujet, et la philosophie a encore probablement bien des découvertes à faire encore.


Parier sur le futur

Quand bien même nos valeurs morales sont meilleures que les précédentes, il est plus qu’improbable que nous ayons atteint un Zeitgeist final et parfait. Il y a très certainement encore des progrès à faire, et il suffit de voir la vitesse à laquelle nos valeurs changent encore à l’heure actuelle pour se persuader que nous n’avons pas atteint un état stable. Je vais donc tenter un exercice difficile qui est celui de deviner quelques changements éthiques et progrès moraux que nous ferons peut-être, si tant est que notre morale continue de progresser (ce en quoi je crois fortement).


Le bien-être animal

Je pense que nous adopterons totalement le point de vue de Bentham sur les animaux, à savoir qu’il faut attribuer une même importance à la souffrance animale qu’à une souffrance humaine équivalente. Cela implique qu’il y aura sûrement des pratiques très strictes encadrant l’élevage, ce qui augmentera sans doute significativement le prix de la viande. Nous mangerons très probablement moins de viande de toute façon, ne serait-ce que pour des raisons environnementales (comme je le fais déjà actuellement par exemple).


On se préoccupe plus du bien-être des chiens que des vaches, bien que les deux espèces ressentent la souffrance de façon comparable. Image par Whoistheroach sous licence CC BY-SA 4.0

Dans le futur, je ne peux qu’imaginer le regard plus que critique qui sera porté sur notre pratiques fermières actuelles (des pratiques qui seront jugées barbares telles que retirer la queue des cochons et le bec des poulets, castrer les cochons sans anesthésie, l’élevage en batterie etc…). Nous serons toisés d’un regard désapprobateur emplis de dégoût que nous réservons aujourd’hui aux récits sur l’esclavage et la façon dont ses victimes étaient entassées dans des bateaux les emmenant de leur terre natale jusqu’en Amérique. Il est intéressant de noter que la phrase « les esclaves étaient traités comme du bétail » sera vue comme absurde par quelqu’un du futur, vu qu’il est probable qu’ils ne traitent même pas les animaux de cette manière.


Les noms de famille

J’en profite pour mentionner ici un youtubeur français du nom de « Mr. Phi » qui explique dans une de ses vidéos qu’il est de coutume pour un enfant de prendre le nom de famille de son père alors qu’il s’agit là très clairement d’une tradition héritée de l’époque où les femmes ne jouissaient pas des mêmes droits que les hommes. Mr. Phi propose même l’idée que dans le futur, chacun sera libre de choisir son nom de famille lors de son mariage parmi ceux des deux partenaires, voire d’en inventer un. Il cite l’exemple du philosophe William MacAskill qui a pris le nom « MacAskill » suite à son mariage, nom qui n’était ni le sien ni celui de son épouse.


L’éducation religieuse

Revenons à un sujet plus sérieux. Nous désapprouvons et jugeons scandaleux l’éducation donnée aux enfants sous le régime communiste en URSS ou par les Nazis du 3ème Reich, car elle visait à endoctriner les plus jeunes dans une idéologie politique. Aujourd’hui, il serait inconcevable d’éduquer des enfants dans des écoles où ils seraient endoctrinés pour voter pour un certain parti politique par exemple. On considère que les écoles doivent être neutres, n’enseigner que des faits et présenter les choses de façon aussi objective que possible.


Le célèbre biologiste Richard Dawkins affirme que cet idéal d’éducation n’est pas acquis car des enfants sont toujours éduqués dans une certaine religion. Dire qu’un enfant est « communiste » ou « d’extrême droite » est inenvisageable, alors que l’on entend souvent « un garçon catholique » ou « une fille musulmane », ce qui devrait nous sembler tout aussi déplacé [7]. Etonnamment, cela semble encore plus étrange de parler d’un « enfant athée » parce qu’on lui attribue alors une idéologie forte qui semble être absurde pour quelqu’un de son âge, alors qu’on considère que les enfants peuvent avoir des croyances religieuses et donc leur coller une telle étiquette.


Je prends le pari que dans le futur, la plupart des gens seront d’accord avec Dawkins, et que les religions seront considérées comme les idées politiques, c’est-à-dire quelque chose que les jeunes ne peuvent pas comprendre et s’approprier avant d’avoir atteint l’adolescence, voire l’âge adulte.


Corrections génétiques avant la naissance

Des services comme 23andMe permettent déjà aujourd’hui de prédire les prédispositions génétiques pour certaines maladies de votre futur enfant en analysant votre ADN et celui de votre partenaire. Cependant, il n’y a aucun moyen de corriger les gènes de votre futur enfant si vous découvrez une maladie génétique. Le mieux qui puisse être fait, c’est le diagnostic préimplantatoire, qui consiste à sélectionner les embryons sains résultant d’une fécondation in-vitro. Cette technique ne permet cependant pas de corriger plusieurs gènes à la fois, elle donne juste un coup de pouce à la chance en sélectionnant le bon embryon parmi plusieurs.


Un diagramme représentant le mécanisme nouvellement découvert CRISPR-Cas9 qui simplifie grandement la modification d’un gène [8] - Image par Marius Walter sous licence CC BY-SA 4.0

Un jour, les progrès en ingénierie génétique rendront peut-être possible la modification directe des gènes au niveau des spermatozoïdes ou des ovules. Cela peut faire penser au film de science-fiction de 1997 « Bienvenue à Gattaca », dans lequel les maladies et désavantages génétiques ont été éradiqués. Le film, bien que présenté comme une dystopie, représente à mon sens un future enviable. Je pense que cette forme « bienveillante » d’eugénisme sera acceptée et même une pratique commune, contrairement à l’eugénisme historique qui consistait à stériliser et exterminer des populations. On peut même envisager qu’il sera considéré comme immoral de donner naissance à des enfants atteints de maladies génétiques qu’on peut éviter, voire que cela donnera lieux à des lois de protection des enfants contre ces risques.


Relations polyamoureuses

Même au sein des pays où la communauté LGBTQ+ est tolérée et acceptée, les relations polyamoureuses sont toujours vues comme étranges et même parfois malsaines [9]. Je parle ici de plusieurs personnes amoureuses entre elles, par exemple 3 partenaires où chacun d’entre eux aime les deux autres, formant un triangle. Il ne s’agit bien pas ici de polygamie « traditionnelle » qui privilégiait les hommes et impliquait généralement une notion de consentement floue si ce n’est absente pour les femmes impliquées (les multiples épouses n’étaient en plus certainement pas censées avoir de relation entre elles). Je parie que ces relations deviendront non seulement plus fréquentes, plus « visibles » (les personnes polyamoureuses le cachent souvent), mais également plus légalement reconnues.


Moi portant une jupe, ce qui est souvent mal vu pour un homme aujourd’hui, mais probablement plus dans le futur.

Conclusion

Si certaines des idées que j’ai décrites ici vous ont choqué ou perturbé, c’est normal. Si elles étaient déjà acceptées par tout le monde, ces idées feraient déjà partie de notre Zeitgeist. J’ai essayé de m’improviser Bentham dans cet article pour voir quelles valeurs morales de notre propre époque pouvaient être fausses. Bien que je ne puisse pas le prouver, je crois très fortement que notre Zeitgeist à venir sera meilleur car il rendra les gens plus heureux et servira de base plus juste pour une société plus équitable.


Références

[7] Pour en finir avec Dieu, Richard Dawkins, chapitre 9

112 views0 comments

Recent Posts

See All
bottom of page