Il y a quelques semaines, j'ai appris qu'un tiers de mes concitoyens français pensent que des systèmes autres que la démocratie pourraient être tout aussi bons. Avec les problèmes internes auxquels les États-Unis sont confrontés et la régression des libertés à Hong Kong, la liberté dans le monde semble menacée. Les gens se demandent si la démocratie et les libertés individuelles sont des valeurs universelles ou simplement une spécificité historique de l'Occident.
Je ne prétends pas être philosophe ou historien, mais je voulais donner mon humble avis sur ce sujet que je trouve très important.
Des occidentaux historiquement arrogants
Reconnaissons d'abord que les pays occidentaux ont un passé d'arrogance extrême et injustifiée. Nous avons tué et asservi des peuples parce que nous étions convaincus que notre « race », notre culture et notre religion étaient supérieures.
À l'époque des croisades, il ne faisait aucun doute pour nous que « nous » étions meilleurs que « eux ». Nous étions convaincus que notre religion était la seule vraie religion et que notre mission divine était de convertir les païens. Le manque de rationalité, l'ignorance des autres cultures et le manque d'éducation en général ne nous permettaient pas de distinguer les vraies valeurs universelles des coutumes purement spécifiques.
De plus, les pays occidentaux étaient pour la plupart des dictatures avec peu de liberté individuelle, donc il n'y avait pas vraiment de grandes valeurs à diffuser de toute façon. Bien sûr, quelques contre-exemples peuvent être mentionnés, comme l'expérience de la démocratie athénienne dans la Grèce antique, mais ce sont globalement des exceptions dans une histoire où les régimes autoritaires étaient dominants.
Les Lumières
Mais au cours du siècle des Lumières (XVIIe et XVIIIe siècles), les intellectuels ont commencé à remettre en question l'autorité et ont posé les bases des droits de l'homme. Une idée centrale était que la vie, la liberté et la propriété sont des droits naturels de l'individu qui doivent être respectés et protégés par les gouvernements. Cette idée était vraiment révolutionnaire à l'époque, car les despotes pouvaient alors emprisonner ou exproprier des individus selon leur propre volonté. Après des révolutions plus ou moins violentes, les droits fondamentaux ont été incorporés dans les constitutions ou documents similaires, tant en Europe occidentale qu'aux États-Unis.
Une autre idée fondamentale était de rendre la justice responsable et transparente : les tribunaux n’appliqueraient alors que les lois que les individus pourraient connaître à l'avance, et rendraient leurs décisions en public. Enfin, une autre idée révolutionnaire était bien sûr la démocratie : les lois elles-mêmes seraient décidées par des représentants élus par le peuple.
Pour simplifier la suite de la discussion, nous appellerons l’ensemble de ces idées les libertés fondamentales dans la suite de cet article.
Entre lumière et ténèbres
Même après les Lumières, les civilisations occidentales avaient encore des défauts majeurs. Seuls les hommes pouvaient voter et seules les libertés des blancs étaient respectées. Une grande partie des États-Unis et de l'Europe a continué à pratiquer l'esclavage jusqu'au XIXème siècle. Même après la fin de l'esclavage, il a fallu un autre siècle avant que les gens de toutes les ethniques ne se voient accorder des droits égaux devant la loi.
Par ailleurs, un autre problème est que même ces droits limités n'ont pas été continuellement respectés au XXe siècle car ils ont été remis en cause par les idées fascistes. L'Allemagne nazie, l'Italie de Mussolini ou la France de Vichy étaient des régimes dans lesquels la démocratie et les droits de l'homme avaient complètement disparu.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces valeurs sont revenues sur le devant de la scène, mais ont à nouveau été menacées par une nouvelle idéologie : le communisme. L'Occident faisait la promotion des libertés fondamentales, qui comprenaient également les libertés économiques comme celle de créer et de posséder des entreprises, c'est-à-dire le fondement du capitalisme. Or cette liberté économique en particulier était accusée par les communistes d’être la source de la pauvreté et des inégalités. C’est pourquoi ils ont cherché à la remplacer par une économie dirigée par l'État, en principe dans l'intérêt de la classe ouvrière. Mais en réalité, les citoyens de l'Est ne jouissaient ni de la liberté économique ni d'aucun autre droit fondamental.
Comme je l'ai déjà mentionné dans mon article “Pourquoi le capitalisme reste le meilleur système”, des millions d’habitants d'Allemagne de l'Est ont traversé la frontière pour aller vivre à l'Ouest, avant que le gouvernement de la RDA ne construise une frontière militarisée pour tuer quiconque tenterait de s'échapper. Les gens voulaient aller à l’Ouest pour le bien-être matériel offert par le capitalisme bien sûr, mais aussi pour les libertés dont on pouvait jouir en Occident mais qui étaient absentes à l'Est.
Plus que des valeurs occidentales
En Occident, nous avons été beaucoup trop arrogants dans le passé, et il est important de s'en souvenir pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Cependant, nous ne devons pas tomber dans l’autre extrême, qui serait de penser que tout est juste une question de culture et que les droits fondamentaux ne sont qu’un des nombreux systèmes de valeurs tout aussi bons les uns que les autres.
Un premier contre-argument à cette idée est que ces valeurs ne sont pas seulement honorées dans les civilisations occidentales. Des pays non occidentaux peuvent même être meilleurs dans leur mise en œuvre. Par exemple, selon l'indice de démocratie créé par The Economist, le Japon et la Corée du Sud sont en fait plus démocratiques que les États-Unis. De même, les événements à Hong Kong montrent que des non-occidentaux peuvent tout autant être prêts à se battre pour leurs droits fondamentaux.
Une découverte universelle
Je crois que les droits fondamentaux sont en fait une découverte faite par l'humanité d'une vérité universelle. Une façon de le justifier pourrait être de faire appel à la morale kantienne alors un raisonnement du type “Vous aimeriez avoir ces droits pour vous-même, donc vous devriez vouloir que tout le monde puisse jouir de ces mêmes droits”. Nous pourrions aussi adopter un point de vue utilitariste et dire que la jouissance des droits fondamentaux est essentielle au bonheur des peuples. Dans la pratique, savoir que vous jouissez de ces droits vous apporte la tranquillité d'esprit : vous n'avez pas à craindre d'être tué, emprisonné ou exproprié simplement parce que vous avez fâché les personnes au pouvoir.
En tant que citoyen français, j'ai le privilège de vivre dans l'un des rares endroits au monde qui garantit un haut niveau de liberté individuelle. C'est grâce aux personnes qui se sont battues pour ces libertés que je peux aujourd'hui écrire un tel article sans crainte pour ma vie ou ma liberté.
La démocratie est-elle aussi une valeur universelle ? J'ai tendance à la voir comme un moyen d'arriver à une fin : c'est le meilleur système politique pour garantir que les gens continuent à jouir des libertés individuelles. L'expérience montre que les dictateurs n'ont souvent aucun respect pour les libertés fondamentales et les éradiquent car ils craignent qu'elles puissent être utilisées pour remettre leur pouvoir en question.
L'humanité a ainsi découvert que les droits fondamentaux sont un aspect essentiel du progrès de la civilisation et que la démocratie est le système politique le plus efficace pour les maintenir. Nous avons compris que les gens devraient avoir les mêmes droits quelle que soit leur origine ou leur sexe. Mais il reste encore des progrès à faire. Nous continuons aujourd'hui d’améliorer notre système de valeurs, par exemple en découvrant depuis récemment que les personnes LGBT doivent être traitées de manière égale ou que les animaux ont droit à un certain respect de leur bien-être.
Les ennemis de la liberté
Les droits fondamentaux sont un trésor fragile et ils peuvent facilement être menacés si nous n'y prenons pas garde. Un premier risque vient d'une prise de contrôle violente par des forces armées. Par exemple, une menace évidente pour un pays démocratique est d'être envahi par un pays non démocratique. Un autre risque est qu'une faction interne prenne le contrôle du gouvernement avec un coup d'État. Les démocraties auraient tort de supposer qu’elles seront forcément toujours les plus puissantes parce qu’elles ont été du côté des vainqueurs lors des guerres précédentes, en grande partie grâce à la puissance des États-Unis.
Mais un autre risque vient de nous-mêmes, les personnes vivant dans les démocraties. Nous pourrions laisser les politiques au pouvoir endommager les précieuses institutions dont la démocratie a besoin, ou utiliser la corruption pour biaiser le processus démocratique. Un risque similaire serait d'élire des candidats qui sont contre la démocratie, parce que nous aurions cessé de croire en son importance. L'exemple historique évident est Hitler, qui est arrivé au pouvoir en étant démocratiquement élu.
Enfin, un risque plus subtil est que nous votions pour promulguer des lois qui portent atteinte aux droits fondamentaux, même si notre système politique reste une véritable démocratie. Cela pourrait arriver si une majorité de personnes votent pour priver une minorité de ses droits. Supposons par exemple que nous votions pour criminaliser l'homosexualité, comme ce fut le cas dans le passé. La décision serait démocratique mais constituerait néanmoins une régression des droits fondamentaux. Cela signifie que la démocratie elle-même n'est pas suffisante, nous avons également besoin que les gens croient en la liberté individuelle et soient suffisamment éduqués pour élire des politiques qui y croient eux aussi.
Le monde poursuivra-t-il sa tendance à long terme vers plus de liberté et de démocratie ? Ou retombera-t-il dans les ténèbres? Cela dépend de nous.
@Jean-Rémi DE MAISTRE
Vous avez tout à fait raison, il faut prendre en compte la dimension internationale dans ces problèmes.
Très juste article, cher Raphaël. L'un des problèmes sous-jacent est que nous avons perdu de vu que la défense des droits fondamentaux ne peut se faire qu'au niveau international, avec une implémentation concrète au niveau local. Si l'on se content du niveau national voir même régional, on créé les situations que nous vivons aujourd'hui: - les populations fuient la répression dans leur pays; - les enfants sont exploités au Bangladesh pour baisser le prix de nos iphones; - on protège l'environnement dans les pays développés pour le dégrader toujours plus dans les pays en voie de développement. Alors oui cela dépendra de nous, mais ce nous c'est l'ensemble de l'humanité, aujourd'hui connectée par l'Internet.