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  • Writer's pictureRiver Champeimont

Et si l’énergie nucléaire n’était pas si dangereuse ?

Updated: Aug 16, 2021

Le nucléaire est probablement la source d'énergie la plus controversée. Ses partisans la voient comme une source d'énergie bon marché et nécessaire pour contrer le réchauffement climatique. Ses opposants radicaux pensent qu’elle est encore plus dangereuse que le réchauffement climatique. L'ampleur des accidents nucléaires et la nature étrange de la radioactivité la rendent particulièrement terrifiante. Mais l’énergie nucléaire est-elle vraiment si dangereuse si on adopte une approche rationnelle ?


Examinons 3 grandes idées reçues sur l’énergie nucléaire et voyons si elles correspondent à la réalité.



Absence de conflit d’intérêt : L’auteur de cet article et ce blog ne reçoivent aucun financement de l’industrie nucléaire, ni n’ont d’intérêts financiers dans cette industrie.


#1 Les centrales nucléaires répandent de la radioactivité dans l'environnement


Réalité: C'est techniquement vrai. Mais même si vous habitez près d'une centrale nucléaire, le rayonnement supplémentaire que vous recevez est bien inférieur à la radioactivité naturelle.


Vous ne le savez peut-être pas, mais vous vivez dans la radioactivité. Votre nourriture est radioactive. Votre maison est radioactive. Les êtres humains sont radioactifs. Cependant, cette radioactivité n’est pas dangereuse pour vous, car la quantité de rayonnement que vous recevez est très faible. C'est ce qu'on appelle la radioactivité naturelle. Elle existe depuis toujours et n’a rien à voir avec l’énergie nucléaire. On l'appelle radioactivité naturelle car elle est naturellement présente, mais c'est en fait le même phénomène que la radioactivité d'origine artificielle. Cette radioactivité naturelle vous expose en permanence à un niveau de rayonnement faible. De plus, vous recevez également des radiations directement du Soleil (qui est une gigantesque machine à fusion nucléaire).


Il est possible de mesurer le rayonnement à l'aide d'un compteur Geiger. Tout le monde peut en acheter un (prix autour de 150 €). C’est ainsi que j’ai mesuré le niveau de rayonnement chez moi qui est de 0,1 µSv/h (voir photo). Cela signifie que mon corps reçoit 0,1 µSv de rayonnement toutes les heures. Un “µSv” est un microsievert, c'est-à-dire un millionième de Sievert, une unité de rayonnement.


Rayonnement naturel à Paris: 0,1 µSv/h

Si vous vivez en montagne, vous êtes exposé à plus de rayonnement car vous êtes moins protégé par l'atmosphère des rayonnements venant du Soleil. J'ai fait une mesure à une altitude de 3 000 m dans les Alpes et j'ai trouvé un niveau de rayonnement environ deux fois plus élevé (0,2 µSv/h). Ainsi, le niveau de rayonnement naturel varie avec l'altitude, et en fait il varie même à une altitude similaire car les roches du sol sont plus radioactives dans certaines parties du monde que dans d'autres.


Parlons maintenant des centrales nucléaires. Elles émettent des radiations, mais le rayonnement supplémentaire reçu à proximité est bien inférieur à la radioactivité naturelle. Si vous alliez près d'une centrale nucléaire en regardant un compteur Geiger comme le mien, vous ne verriez même pas de changement dans la valeur affichée.


En pratique, les personnes qui vivent à proximité d'une centrale nucléaire sont exposées à quelques microsieverts (µSv) supplémentaires par an, alors que le rayonnement naturel les expose déjà à plusieurs microsieverts par jour.


Mais alors, qu’est-ce qui constitue une dose dangereuse de rayonnement ? Le niveau de rayonnement le plus bas pour lequel une augmentation du risque de cancer a été observée est d'environ 100 mSv (= 100 000 µSv), ce qui augmente le risque de cancer au pire de 0,5% (avec le modèle le plus pessimiste). Si une personne reçoit plus de 400 mSv (= 400 000 µSv) en peu de temps (par exemple lors d'un accident nucléaire), des symptômes d’un syndrome d’irradiation aiguë peuvent apparaître. La dose létale est d'environ 4 Sv (= 4 000 000 µSv). Si vous souhaitez voir plus d'exemples d'ordre de grandeur de rayonnement, vous pouvez consulter cet excellent graphique (en anglais).


#2 Les accidents ont des effets sur la santé dans le monde entier


Réalité: Les doses de rayonnement que vous avez reçues lors des accidents nucléaires sont comparables à la radioactivité naturelle, sauf si vous étiez en Ukraine ou en Biélorussie lors de l'accident de Tchernobyl.


Dans les jours qui ont suivi l'accident nucléaire de Fukushima, j'ai eu l'idée d'utiliser mon compteur Geiger pour mesurer la radioactivité lors du passage du nuage radioactif au-dessus de la France. Cependant, je n'ai pu voir aucune différence par rapport au niveau normal de rayonnement naturel (0,1 µSv / h). Avec des niveaux de rayonnement aussi bas, l'impact sur la santé de l'accident de Fukushima en Europe est négligeable.


Cependant, nous pourrions légitimement nous poser la même question pour la catastrophe de Tchernobyl. L'accident de Tchernobyl a libéré environ 10 fois plus de matières radioactives que celui de Fukushima, et l'Ukraine (l’URSS en 1989) est bien sûr beaucoup plus proche de l'Europe occidentale que le Japon. Alors, quel a été l'impact sur la santé des personnes en Europe de l'Ouest au moment de cet accident ? Selon l'UNSCEAR (l'organisation des Nations Unies chargée d’étudier l’exposition à la radioactivité), le rayonnement reçu par les Européens de l'Ouest est inférieur au niveau de rayonnement naturel au cours de la première année après l'accident, c'est-à-dire à l'époque où le rayonnement était le plus élevé. Pour être précis, il était inférieur à 1 mSv/an, alors que le rayonnement naturel moyen est de 2,4 mSv/an. Cela pourrait surprendre les personnes vivant en Europe occidentale qui sont convaincues que leur gouvernement leur a menti pour minimiser les risques. Mais oui, les doses reçues par les Européens de l'Ouest pour le pire accident nucléaire de l'histoire sont vraiment aussi faibles.


Bien entendu, il est indéniable que les personnes vivant à proximité de la centrale de Tchernobyl ont été touchées par des radiations nucléaires dangereuses. Elles ont reçu des doses importantes, suffisamment élevées pour augmenter le risque de cancer de la thyroïde (environ 6000 cas sont survenus).


#3 L'énergie nucléaire est la source d'énergie la plus dangereuse


Réalité: Selon les estimations, entre 4 500 et 20 000 personnes sont mortes à cause de l'énergie nucléaire. Mais par rapport à d'autres sources d'énergie, l'énergie nucléaire tue relativement peu de personnes pour l'énergie produite.


Les accidents nucléaires sont comme des accidents d'avion : ils sont spectaculaires et font l'actualité. Mais en fait les accidents de voitures tuent beaucoup plus de gens. Il en va de même pour le nucléaire, les combustibles fossiles étant l'équivalent des voitures. L'OMS estime que plus de 4 millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution de l'air extérieur, principalement causée par l'utilisation de combustibles fossiles. Comparée à la quantité d'électricité produite, l'énergie nucléaire est juste un peu plus dangereuse que les énergies renouvelables, mais beaucoup moins dangereuse que les combustibles fossiles (voir le graphique ci-dessous).


Nous pourrions nous arrêter ici, mais je crains que vous ne trouviez ces chiffres peu convaincants sans plus d'explications. Parlons donc un peu plus des accidents nucléaires pour comprendre comment nous arrivons à ces chiffres.


Les accidents nucléaires

Le plus ancien accident nucléaire majeur dans une centrale électrique s'est produit à Three Mile Island, aux États-Unis, en 1979. Mais il a rejeté peu de matières radioactives dans l'environnement et n'a eu aucun effet sur la santé des gens. Pour vous donner un ordre de grandeur, il a émis environ 10 fois moins de radioactivité que l'accident de Fukushima, qui lui-même a émis environ 10 fois moins de radioactivité que l'accident de Tchernobyl.


Parlons donc de Tchernobyl, le pire accident nucléaire de l'histoire, survenu en Ukraine (URSS) en 1989. Lorsqu'on considère l'impact des radiations sur la santé, il y a deux types d'effets. Il y a d'abord des effets à court terme, pour les personnes qui reçoivent des doses de rayonnement très élevées en peu de temps. C'est ce qu'on appelle le syndrome d’irradiation aiguë dont les symptômes sont directement visibles. Environ 30 personnes sont mortes de cette façon. Mais l'évacuation n'a pas été effectuée immédiatement et une grande partie de la population a également été exposée aux radiations. Pour eux, l'effet est une probabilité accrue de développer un cancer, qui peut survenir plus d'une décennie après l'exposition. Selon l'OMS, on estime que 4 000 personnes au total mourront à cause de cancers supplémentaires causés par l'exposition aux radiations. Certains modèles arrivent à des estimations plus élevées, de 9 000 à 16 000 décès, en extrapolant les effets à des populations dans lesquelles l'effet sur la survenue du cancer est si faible qu'il est impossible de le vérifier statistiquement. Dans le graphique ci-dessus, l'estimation de 4 000 morts est utilisée. Si on multipliait le taux de mortalité par 4 pour utiliser l'estimation de 16 000, cela donnerait une valeur de 0,28 morts/TWh ce qui ne changerait pas notre conclusion ici : l'énergie nucléaire est beaucoup moins dangereuse que les combustibles fossiles.


Enfin, parlons de Fukushima (2011). Cet accident est différent des autres car il était la conséquence d'une catastrophe naturelle. Le tremblement de terre et le tsunami ont tué 16 000 personnes. En raison du tsunami, les lignes électriques reliant la centrale au réseau électrique ont été détruites ainsi que les pompes de secours permettant de refroidir le réacteur nucléaire. Le résultat a été un échec du refroidissement du réacteur, entraînant le rejet de matières radioactives dans l'environnement. Grâce à l'évacuation, seulement 2 personnes ont reçu de fortes doses de radiations. Cependant, 573 sont décédés à cause de l'évacuation elle-même (à cause du stress ou parce qu'il s'agissait de personnes nécessitant des soins spéciaux). Certaines autres sources donnent une estimation plus pessimiste autour de 2 000 morts. Cela peut sembler contre-intuitif car nous pourrions penser que faire preuve de précaution avec une évacuation la plus large possible est la meilleure solution pour minimiser les risques. Même si ces personnes ne sont pas mortes des radiations, nous devons tout de même les compter comme des décès causés par l'énergie nucléaire pour avoir une vision honnête des risques associés à chaque source d'énergie.





Estimation alternative

Je voudrais également proposer ma propre estimation. Pour avoir une idée des décès auxquels on peut s'attendre à l'avenir en utilisant l'énergie nucléaire, je pense qu'il est trop pessimiste de prendre en compte Tchernobyl, car la centrale présentait des défauts de conception évidents que les centrales actuelles n'ont plus. Même en 1989, un tel accident était déjà impossible en Occident, car les centrales là-bas avaient une structure de confinement pour réduire l'exposition du public en cas d'accident. D'un autre côté, je pense que l'accident de Fukushima peut donner une bonne idée de ce à quoi peut ressembler un accident nucléaire à l’époque actuelle. Supposons donc qu'il y ait un accident de type Fukushima tous les 20 ans avec la production d’électricité actuelle (les accidents de Tchernobyl et de Fukushima sont séparés de 22 ans). Au cours des 20 dernières années, les centrales nucléaires dans le monde ont produit environ 50 000 TWh d'électricité (période 2000-2019). Prenons une estimation plutôt pessimiste du nombre de décès à Fukushima et supposons que 2 000 personnes sont mortes au lieu des 573 comptées dans le graphique.


On peut alors calculer le taux de mortalité dans la même unité que le graphique ci-dessus :

2 000 décès / 50 000 TWh = 0,04 décès par TWh


Cela donne un résultat encore meilleur pour l'énergie nucléaire que dans le graphique (0,07 décès par TWh), qui est alors égal à celui de l’énergie éolienne ! Cela signifie que même si nous n'améliorons pas du tout la sécurité des centrales nucléaires – et nous devrions bien sûr le faire – l'énergie nucléaire serait déjà aussi sûre que les énergies renouvelables. Et bien sûr, des travaux sont en cours pour améliorer la sécurité des centrales, nous pouvons donc nous attendre à ce que ce taux soit encore plus bas à l'avenir.


Conclusion

L'énergie nucléaire a une image de source d’énergie très dangereuse. Mais quand on regarde les chiffres, elle tue en réalité très peu de gens. La compréhension de ce fait contre-intuitif est un premier pas vers une vision rationnelle des différentes options énergétiques afin de faire des choix éclairés sur l'avenir.


Je n'ai pas évoqué ici de nombreuses autres critiques formulées à l'encontre de l'énergie nucléaire (gestion des déchets, ressources limitées, coût, risques de prolifération nucléaire) que j’envisage de couvrir dans de futurs articles.


Pour en savoir plus


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